Cet été, Jérémie Beyou avait le mental et les tripes pour tour rafler ou presque : trois des quatre étapes plus le général. Il entre aujourd’hui dans le petit sérail des doubles vainqueurs de La Solitaire, au sommet d’un podium qui récompense la jeunesse talentueuse et décomplexée (Fabien Delahaye) mais aussi l’expérience et la régularité (Erwan Tabarly). En bizuth, Morgan Lagravière, 24 ans a été impressionnant. Voici les déclarations de ces quatre lauréats interviewés dès leur arrivée à Dieppe.
34 minutes et 43 secondes c’est le temps d’avance de Jérémie Beyou (BPI) cumulé sur quatre étapes devant un jeune blondin doué et ambitieux. 34 minutes et 43 secondes d’éternité pour entrer à 35 ans dans l’histoire de La Solitaire du Figaro aux côtés des doubles vainqueurs de l’épreuve Le Cléac’h, Troussel, Vidal, Gahinet, Cornou et Le Baud. Cet été, le skipper de BPI a dominé son monde, mentalement et physiquement. Et sa victoire s’est imposée à tous comme une évidence, jusque dans les derniers mètres, sous les grains de Dieppe où il grille la politesse à Paul Meilhat (Macif 2011) pour 12 secondes à peine. Comme Armel Le Cléach en 2010, il enlève trois des quatre étapes de cette édition 2011 et n’était pas très loin de faire le carton plein.
Fabien Delahaye (Port de Caen Ouistreham), 27 ans, est le seul à l’avoir détrôné sur la première étape entre Perros-Guirec et Caen et le seul à l’avoir réellement menacé sur la route de Dieppe. Le jeune Caennais dont c’est la troisième participation se révèle comme un des grands champions de demain. Mais ce n’est pas vraiment une surprise. Il monte sur la deuxième marche devant un autre blond bien plus expérimenté que lui : Erwan Tabarly (Nacarat) qui prend la troisième place grâce à une quatrième étape très bien maîtrisée. C’est le premier podium pour Erwan, toujours régulier depuis ses débuts dans La Solitaire en 2000, mais jamais récompensé de ses efforts.
Chez les bizuths, Morgan Lagravière (Vendée) est probablement la plus belle découverte de cette Solitaire. Non content de s’imposer dans la catégorie des débutants, il termine 8e du classement général, après être allé au bout de lui-même. Il termine à Dieppe épuisé, le nez abîmé par un gros coup de tangon mais heureux d’en finir sur une si belle note…
Interview de Jérémie Beyou (BPI), vainqueur de La Solitaire du Figaro Eric Bompard Cachemire 2011 avec trois victoires d’étape
A propos de l’arrivée au couteau de cette 4e étape, 12 secondes devant Paul Meilhat
Je m’en veux un peu…. Paul a super bien navigué sur cette dernière étape, c’était lui qui méritait le plus de gagner. Comment gagne-t-on La Solitaire du Figaro ? Elle ne se gagne pas qu’au mérite. Elle se gagne à la volonté, il faut s’organiser pour, il faut de la niaque, se remettre en question, ne rien lâcher, de la chance. Ce sont des lieux communs mais c’est le cocktail de tout ça qui fait que tu y arrives ou pas. Cette année, tout était réuni pour moi. Depuis 2009, avec Claude Paoli (son partenaire), j’avais dit que je revenais pour gagner… Cela paraît peut être un peu présomptueux de dire cela mais c’était l’objectif. En 2009, je remporte deux étapes. L’année dernière je fais 7e, c’était honorable mais ce n’est pas ce que j’étais venu chercher. A partir de là, j’ai tout mis en œuvre pour y aller à fond…
A propos de la gestion de son avance en course malgré les faibles écarts, notamment dans les étapes 3 et 4 :
Après avoir tenu dans la troisième étape, je me suis dit que je pouvais le refaire. Je savais que Fabien allait un peu mieux que moi au portant mais cela ne m’a jamais effrayé. J’ai toujours eu confiance en moi et il n’y a jamais eu de doute. Je sais quels sont les moments où je vais vite, notamment au reaching et dans les hauts de range. Je connais aussi mes points faibles mais j’arrive à les gérer et la concurrence en avait plus que moi. Je n’ai jamais été effrayé par la concurrence.
Et des faibles écarts au classement général (34 minutes et 43 seconde sur Fabien Delahaye)
Pour prétendre à la gagne dans La Solitaire, de plus en plus, il faut être irréprochable. Parce qu’au bout du compte, il y a 35 minutes d’écart au général. Ce n’est pas une montagne mais derrière, ce ne sont que des poignées de 5 minutes entre chaque mec. Je suis hyper fier de ça ! Je suis quasiment le seul à avoir réussi à me démarquer, à sortir du lot.
A propos de son entrée dans le sérail des doubles vainqueurs…
Et oui, et avec Nicolas Troussel et Armel Le Cléac’h, on est trois de la baie de Morlaix. On a toujours tout fait ensemble. C’est incroyable quand même. Sur les 5 ou 6 double vainqueurs, il y en trois de chez nous ! J’y repensais quand on est passé dans le Four. Je me disais tu vois, le fait d’avoir fait 45 Tour du Finistère, les régates du coin, on se retrouve dans des endroits que l’on connaît par cœur. J’étais bien à cet endroit, c’était beau, c’était un chouette moment dans le Four.
Le blues de la victoire….
Quand j’avais gagné en 2005, c’était un peu ça. La victoire m’était tombée dessus, c’était une joie immense. Je l’avais ressenti tout de suite mais je n’en avais pas vraiment profité car j’étais déjà sur mon projet de 60 pieds. Et puis deux ou trois semaines après, pouf, je m’étais rendu compte que c’était passé. Je n’avais plus la grosse patate…Là, je vais essayer d’en profiter jusqu’à lundi et ensuite, il y aura la Transat Jacques Vabre avec Jean-Pierre (Dick), ça va me sortir de ce contexte.
Son retour, un jour sur La Solitaire …
Je ne saurai pas te répondre. J’aimerai y revenir, oui. Mais pas pour faire de la figuration et je me dis que quand même physiquement, ça risque d’être dur… Là, j’ai peut-être gagné trois étapes, mais ça m’a mis une vraie claque. Il faut d’abord être très motivé, avoir envie de se dépasser. Une fois que tu as ça, il ne faut pas être croulant. Il faut être bien physiquement. Il faut voir comment je vieilli et que l’envie me reprenne. Mais je pense qu’elle me reprendra.
Ce qu’il aime dans cette course…
Ce qui saute à la gueule c’est la castagne sur l’eau, le très haut niveau etc… Mais il n’y a pas que ça. Tu vois, là, le repas que nous sommes en train de faire (le traditionnel repas des coureurs aux arrivées d’étape), c’est tout bête, mais c’est bien. Quand tu arrives, tu es dans un environnement familier, tout le monde a le sourire autour, les gens ont plaisir à se retrouver. C’est comme des retrouvailles de vacances. Tout le monde fait un super boulot. Sur l’eau, il y a les animations de Jean-Yves, Jaco qui est à la fois ferme mais très à l’écoute des coureurs, il fait attention à ce que chacun soit bien. Tout cela, il ne faudrait pas le perdre. La qualité humaine des gens est importante. Il n’y a pas que les coureurs qui font la course… »
Fabien Delahaye (Port de Caen-Ouistreham), 3e de la quatrième étape et 2e de La Solitaire du Figaro 2011
« 1er, 7ème, 2ème, 3ème : je suis très content d’avoir réalisé ce score sur ces quatre étapes, et de finir sur la deuxième marche du podium. Ce sont de bonnes places, mais La Solitaire du Figaro se joue au temps : Jérémie (Beyou) ne m’a pas lâché de toute cette dernière étape. Un coup c’était lui devant, un coup moi : nos écarts n’ont pas excédé un demi-mille sur les 437 milles entre Les Sables d’Olonne et Dieppe et la plupart du temps, on était à cent mètres maximum l’un de l’autre… On a fait tout pareil : il avait les yeux collés sur moi et parfois on pouvait même se parler. C’était une super étape et j’étais content d’être avec lui ! Il y a deux ans, j’étais aussi avec Paul (Meilhat) pour la première place des bizuths en arrivant à Dieppe : un joli remake ! Je navigue désormais dans le top ten et c’est sympa, mais il faut jouer la régularité : faire quatre étapes parmi les animateurs, c’est très satisfaisant. Mais il y a un paquet de nouveaux venus qu’il faut surveiller : Morgan Lagravière, Phil Sharp parmi les bizuths, mais aussi Anthony Marchand, Thomas Rouxel, Paul Meilhat… Il y en a de plus en plus ! »
Erwan Tabarly (Nacarat), 4e de la 4e étape et 3e du général provisoire de La Solitaire du Figaro 2011
« Quatrième de cette dernière étape, ce n’est pas si glorieux que ça ! C’est un peu la place du « dernier » puisqu’on était quatre à jouer la manche dans un mouchoir de poche… J’aurais aimé conclure avec une victoire parce que j’étais en mesure de la faire, mais je finis sur la troisième marche du podium, et ça c’est super. Depuis le temps que je fais des places dans le « top ten » et que je n’arrive pas à monter sur le podium, c’est forcément très satisfaisant. J’ai encore deux places à gagner, mais pour cette édition, Jérémie (Beyou) était intouchable et Fabien (Delahaye) a très bien navigué. J’ai déclenché le chrono pour savoir si j’allais réussir à monter sur le podium final : avec Thomas Rouxel, c’était acquis puisqu’il était trop loin sur cette étape, mais avec Nicolas Lunven, il fallait 27 minutes d’écart. Au final, il y en a eu trente… Ce n’est pas beaucoup. Sur cette étape, il a tout le temps fallu faire des petits coups : c’était usant parce qu’il ne fallait pas se relâcher. Le format de cette 42ème édition était très intéressant, parce qu’il y avait plein de petites options, en permanence, à cause de la navigation dans les cailloux, des courants, des bascules de vent, des effets de côte : il y avait de quoi faire. Je vais recommencer et j’espère qu’un jour je finirais par la gagner, mais pas à 60 ans ! »
Morgan Lagravière (Vendée), 1er bizuth et 8e au général provisoire de La Solitaire du Figaro 2011
« C’est fini ! Je suis tellement content que ce soit fini ! Je me suis pris un coup de tangon dans la tête 10 milles avant d’arriver. J’ai eu un voile noir pendant quelques secondes et j’ai saigné du nez abondamment du coup j’ai eu assez peur. Je commence tout juste à savourer ma belle course parce que je reviens de loin. Je suis mal parti (j’ai loupé une bouée de parcours et il a fallu que je revienne la passer) et il a fallu cravacher pour revenir… Plus les heures vont passer et plus je vais apprécier parce qu’on en a vraiment bavé avant. Cette nuit je me suis écroulé de fatigue dans le cockpit… J’ai trois victoires d’étape en bizuth. C’est super, c’est un peu la Beyou des jeunes… En face, dans cette catégorie, j’avais de sérieux clients et je tiens à souligner leur combativité, notamment Xavier (Macaire). Quand on est nouveau sur cette course, on en bave, plus que les autres. Il y a des petits moments que l’on pourrait apprécier mais que l’on n’arrive pas forcément à capter. Aujourd’hui, je n’ai pas encore ce truc-là. Il y a des moments durs, la fatigue est toujours là, la nourriture jamais alléchante…Du coup, on réapprécie tout cela quand on remet les pieds sur terre. Mais là je suis à bout et j’ai besoin de bien récupérer pour la suite. La suite, ce sera le tour de Bretagne avec Gildas Mahé.